CERAS (Centre sur l’Asie du Sud – Forum pour la paix, le sécularisme et le développement démocratique en Asie du Sud)
Montréal, le 14 avril 2015
POUR PUBLICATION IMMÉDIATE
Le Premier ministre de l’Inde, Narendra Modi – rhétorique et réalité
Le Premier ministre de l’Inde, Narendra Modi, entame aujourd’hui, le mardi 14 avril, une visite officielle de trois jours au Canada. Le Premier ministre Stephen Harper participera aux événements prévus dans les trois villes figurant sur l’itinéraire de M. Modi – Ottawa, Toronto et Vancouver -, ce qui souligne la grande importance que le Canada accorde à cette visite.
Pour la plupart des membres de la Diaspora indienne au Canada, qui savourent l’éclat indirect d’une Inde prête à dépasser la Chine en termes de croissance économique, c’est un moment de gloire lorsqu’un dirigeant plein d’assurance occupe les feux de la rampe.
Il est tourné vers l’avenir et non vers le passé, et compte tenu de sa feuille de route, ils estiment que le péremptoire M. Modi est un homme sérieux. Il a en effet promis « la bonne gouvernance  » à l’Inde, le modèle du Gujarat (État dont M. Modi était chef-ministre avant de devenir Premier ministre de l’Inde) de croissance rapide et soutenue le précède, et il a parlé en faveur des filles. Aux miieux d’affaires du Canada, et au reste de l’Occident développé en mal de croissance, il a promis des marchés potentiels dans une Inde sur le point de devancer la Chine, et il se projette comme un dirigeant assuré qui passe de la parole aux actes.
Mais en fixant l’avenir et en tournant la page sur le passé, M. Modi et le BJP (Bharatiya Janata Party), le parti qu’il dirige, voudraient nous faire oublier une histoire récente jalonnée d’horreurs, comme la destruction de l’historique mosquée Babri en 1992, la révision des manuels scolaires pour faire l’éloge de Hitler, et le génocide de 2002 au Gujarat où des femmes musulmanes en particulier furent brutalisées, violées et massacrées sans que le gouvernement (de M. Modi) ne bouge le petit doigt.
Comme le léopard du dicton qui ne change pas ses taches, l’enracinement politique de M. Modi et son dossier au pouvoir n’augurent rien de bon. Alors même qu’il se concentre ostensiblement sur la gouvernance autoritaire et sur la croissance, le BJP et ses organisations affiliées du Sangh Parivar (la famille hindouiste, un vaste réseau de structures religieuses, sociales et politiques unies par l’idéologie du nationalisme hindou, appelée Hindutva, vouée à faire de l’Inde une nation hindoue) poursuivent activement leur agenda idéologique. À commencer par leur campagne de « Ghar Wapsi  » - un programme doucereux de reconversion à l’hindouisme ciblant les chrétiens et les musulmans – qui a été suspendu sous les critiques, mais pas abandonné.
Il y a aussi la déification de l’assassin du mahatma Gandhi, Nathuram Godse, la vandalisation d’églises et de leurs propriétés, l’assassinat de jeunes musulmans détenus par la police, tout cela indique que M. Modi et le Sangh Parivar restent déterminés à imposer leur vision étroite, intolérante et exclusiviste d’une identité hindoue sur cette nation plurielle – un pluralisme qu’ont reflété les visions du mahatma Gandhi, de Rabindranath Tagore, de Khudiram Bose, de Subhas Bose, de B.R. Ambedkar, de Jawarharlal Nehru, de Bhagat Singh, de Chandrashekhar Azad, et de tant d’autres, une vision pluraliste qui a grandement guidé le développement post-colonial de l’Inde en tant que nation.
Il n’est pas clair non plus si le modèle néo-libéral tant vanté du Gujarat est celui que le reste de l’Inde doit suivre. Par exemple, le modèle d’accès universel du Tamil Nadu, un État du sud de l’Inde, a produit de meilleurs résultats, comparé au Gujarat, en termes de santé, d’éducation, de nutrition et d’égalité des genres.
Enfin, les tentatives de M. Modi d’abroger des parties du Land Act (Loi sur la propriété foncière), adopté par le Parlement indien en 2013, dans le but d’augmenter, lors d’acquisitions des terres, la compensation versée aux paysans et aux laboureurs qui tirent leur subsistance de ces terres, indique qu’il est disposé à gouverner dans l’intérêt d’une minorité et non de la majorité.
Donc, tandis que le Canada et les Canadiens s’apprêtent à fêter M. Modi et à célébrer les nombreuses réalisations de la plus grande démocratie au monde, il importe de se demander dans quelle direction lui et son Sangh Parivar entendent mener l’Inde. Une Inde chauviniste et hindouiste dotée d’une économie de marché néo-libérale n’est bonne ni pour les Indiens ni pour le reste du monde.
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