(article publié dans Le Monde daté du 9 septembre 2005)
ALICE THORNER
Jacques Pouchepadass,
Directeur de recherche, CEIAS (EHESS-CNRS)
Alice Thorner, spécialiste américaine renommée de l’Inde contemporaine, née à New York le 16 novembre 1918 et résidente en France depuis 1960, est décédée à Paris le 24 août 2005. Alice et son mari Daniel Thorner, qui enseigna lui-même pendant près de quinze ans l’histoire et l’économie de l’Inde moderne à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, furent longtemps un couple vedette du milieu international des sciences sociales appliquées à l’Inde. Daniel Thorner ayant perdu son poste à l’université de Pennsylvanie pendant l’épisode maccarthyste, les Thorner avaient passé en Inde l’essentiel des années cinquante, rédigeant sur les statistiques publiques et les politiques économiques de l’Inde de Nehru des analyses critiques qui devinrent vite célèbres, tout en nouant des liens étendus dans l’élite intellectuelle du pays. Ils s’installèrent à Paris en 1960 lorsque Daniel fut invité à rejoindre ce qui était encore la VIe Section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, alors présidée par son fondateur Fernand Braudel. Jusqu’au lancement officiel en 1975 d’un programme franco-indien d’échanges en science sociales, la maison parisienne des Thorner, sise à deux pas de la place Jussieu, fut en France le principal foyer d’interaction entre les universitaires des deux pays dans les disciplines concernées. Ils seront l’un et l’autre des personnalités marquantes du Centre d’Etudes de l’Inde et de l’Asie du Sud de l’EHESS. Après la disparition prématurée de son mari en 1974, Alice poursuit chez elle la tradition familiale d’hospitalité sans frontières, assure des enseignements sur l’Inde moderne aux Langues O’ et à l’université Paris VII, publie en français et en anglais sur l’économie et la société indiennes, et co-organise à Sèvres en 1978 un congrès européen d’indianisme moderne, En Inde même, où elle séjourne longuement chaque hiver, elle mène et anime jusqu’à ces dernières années des recherches sur la définition et la mesure économique de la pauvreté, sur les femmes au travail, sur l’agglomération de Bombay. Les hommages publics qu’on s’apprête à lui rendre en Inde témoignent de l’attachement et du respect général que lui a valu, dans les rangs de l’élite universitaire indienne, sa passion pour un pays qui était, plus encore que la France, sa patrie d’adoption.